La «Colter Traverse»
un itinéraire à ski oublié dans le parc de Yellowstone
Des raquettes à neige, un fusil et un sac de 15 kilos – c’est avec cet équipement que le trappeur et «mountain man» John Colter est parti au début du 19e siècle à la découverte de l’immense écosystème de Yellowstone, dans l’ouest des actuels USA. Environ 200 ans plus tard, les deux athlètes et mordus de ski de randonnée Riis Wilbrecht et Thomas Sawyer ont suivi ses traces dans les chaines montagneuses d’Absaroka, de Beartooth, du Gros Ventre et du Teton, pour vivre une aventure unique façonnée à leur image. Sawyer et Riis ont mis à profit les deux derniers hivers pour explorer la région à ski en compagnie de différents amis et profiter de magnifiques descentes depuis des sommets souvent très peu, voire pas du tout fréquentés en hiver. Lors de ces randonnées en terrains inconnus, ils ont dû repousser de nombreuses fois leurs limites tant physiques que mentales. Riis Wilbrecht nous en dit en peu plus sur leur grand projet, sur ce que les deux athlètes recherchaient et sur ce qu’ils ont rencontré lors de cette aventure vécue pratiquement devant leur pas de porte.
John Colter – un explorateur légendaire
On dit souvent que l’aventure se présente à ceux qui la cherchent. C’est en tout cas ce qui s’est passé avec John Colter et son histoire continue d’être racontée 200 ans plus tard. Mon grand ami Thomas Sawyer et moi-même avons grandi à Jackson Hole, une vallée du Wyoming (USA), que Colter a probablement parcouru à son époque. Ceux qui sont nés dans la vallée ont grandi sous la bonne garde des montagnes alentour et ont hérité de l’esprit d’aventure de leurs ancêtres. Le nom de John Colter nous accompagne depuis toujours, ce pionnier et aventurier nous inspire depuis notre plus tendre enfance. Ci-dessous un petit résumé de sa vie pour ceux qui ne connaissent pas encore l’histoire de ce fameux «mountain man». Quelques-unes de ses aventures ont participé à la construction du mythe américain et sa légende est plus vivante que jamais.
Sur les traces de John Colter, loin des sentiers battus
Inspirés par l’histoire de John Colter, nous souhaitions suivre son itinéraire à travers le parc national de Yellowstone. Notre aventure a débuté dans les montagnes où John Colter avait terminé la sienne à l’époque. Mais contrairement à notre héros, nous n’avons pas exploré les étendues sauvages en raquettes à neige et avec des peaux de bêtes dans notre paquetage. Son exploit est et restera exceptionnel. Nous apprécions de notre côté d’être équipés avec du Gore-Tex et des fixations à inserts. Notre objectif était de montrer comment les moyens de déplacement en montagne ont évolué au cours des 200 dernières années, en utilisant des techniques et des équipements modernes et performants. Comme nous sommes nés et avons grandi à Jackson Hole, au sud du Yellowstone, nous connaissions bien entendu l’histoire de John Colter et son échauffourée avec les terribles Blackfeet. Nous savions aussi qu’il était un excellent trappeur, mais nous ne connaissions pas l’ampleur de l’héritage laissé par lui-même dans la région de Yellowstone.
«Notre objectif était de montrer comment les moyens de déplacement en montagne ont évolué depuis l’expédition de John Colter, en utilisant des techniques et des équipements modernes et performants»
Notre aventure a vraiment débuté en avril 2018. Thomas Sawyer a réussi à convaincre Morgan Mcgloshlon, Sam Wiley et moi-même de parcourir un petit tronçon de l’itinéraire dans la région de Cooke City, juste pour voir dans un premier temps de quoi il en retournait. Quatre amis, sept jours de camping hivernal et quelques sommets que je n’avais encore jamais vus de ma vie – une bonne manière de passer mes vacances de Pâques. Suite à la magnifique expérience vécue sur cette petite partie de l’itinéraire, nous avons rapidement acquis la certitude que nous devions effectuer le voyage complet.
Ce qui a débuté comme simple activité de vacances s’est naturellement transformé en ce que nous avons appelé le «Colter Project». L’année lors de laquelle nous nous sommes élancés sur les traces de John Colter dans ces montagnes magiques, nous avons acquis en pleine nature une confiance que nous ne connaissions pas encore. Notre expérience en milieu sauvage jusqu’à ce point nous a tout juste permis de venir à bout de cette aventure. Pratiquement chaque jour du projet présentait son lot de nouveaux défis, avec toujours heureusement une bonne bière pour bien finir la journée.
«Ce qui a commencé par une simple activité de vacances s’est naturellement transformé en ce que nous avons baptisé le Colter Project»
Nous avons rencontré sur notre chemin d’imposants sommets, de larges rivières et bien plus de traces d’animaux sauvages et hostiles que nous imaginions avant le départ. La nature dans toute sa grandeur et sa puissance est présente partout et tout le temps. Peut-être qu’à l’époque John Colter s’était simplement trompé et qu’à cause de lui deux jeunes sportifs traversent maintenant ces contrées sauvages sans savoir ce qu’ils font? Ou alors il voulait vraiment partir à la découverte de nouveaux espaces pour se différencier de ses pairs? Peu importe ses objectifs premiers, il a de toute manière vécu une aventure absolument extraordinaire.
La version moderne d’un itinéraire oublié
Comme personne n’est vraiment à même de dire par où John Colter est passé, notre projet est moins la répétition d’un itinéraire oublié que l’interprétation personnelle d’un voyage mystérieux. Cela nous a donc laissé une grande liberté de décision et de réalisation – bien entendu toujours influencée par les conditions du moment. Cela faisait presque deux décennies que nous voulions connaitre de plus près les montagnes qui nous entourent. Le moment était donc venu de vivre notre rêve et de nous lancer dans cette aventure à ski hors du commun. Le Yellowstone, plus ancien parc national du monde, fascine par ses geysers et sa faune sauvage. Alors qu’en été il se transforme en immense attraction touristique (plus de 3 millions de visiteurs durant la belle saison), pratiquement personne ne s’y aventure en hiver. Pour notre part, nous souhaitions découvrir sous la neige les lieux localisés sur les cartes et aussi partager notre expérience avec le public. Nous avons pour cela décidé de tourner un film relatant notre aventure, pour faire connaitre un peu de notre quotidien tout au long de ce voyage.
Une bonne préparation pour s’attaquer à l’inconnu
Vu sous un certain angle, nous pouvons dire que nous nous sommes préparés toute notre vie pour surmonter la «Colter Traverse». Thomas et moi avons grandi en escaladant et en parcourant à pied, à vélo et à ski d’innombrables montagnes et autres couloirs de la région, chaque nouvelle occasion qui se présentait était bonne à prendre. Un des plus grands défis dans le cadre de ce projet était de trouver et de déterminer le bon itinéraire. Thomas a passé des jours et des jours à déceler sur les cartes les terrains adéquats, qui nous permettraient de bien progresser à ski. Nous avons en outre porté une attention particulière sur le choix de notre équipement. Une fois notre plan établi, nous nous sommes lancés dans l’aventure sans savoir pour autant ce qui nous attendait vraiment. Chaque jour passé nous réservait son lot de surprises. Nous ne savions pas quel type de neige nous allions rencontrer et si le terrain allait se prêter à notre entreprise. Nous ne savions en outre absolument pas jusqu’à quel point nous devrions repousser nos limites. Nous avons dû faire face aux dangers d’avalanche, aux risques de blessures, à d’énormes masses de neige et à toute une série d’autres obstacles inattendus.
«Nous nous sommes préparés toute notre vie pour le Colter Project, sans pour autant savoir ce qui nous attendait et si nous allions réussir»
Devant de telles situations, il est primordial de garder son calme et d’accepter des modifications d’itinéraire, voire des changements radicaux dans le plan de marche. Une journée parfaite peut se résumer par des montées et des descentes en accord avec le tracé prévu, et la caméra qui tourne. Disons tout de suite que de telles journées ont été extrêmement rares. Mais chaque jour présentant des obstacles et des difficultés nous a permis d’acquérir plus d’expérience et de mettre celle-ci à profit par la suite.
Le voyage de Colter, skis de rando aux pieds – à faire et à ne pas faire
Nous n’allons pas fournir ici les noms exacts des montagnes et des couloirs ayant servi de décor pour notre film, car nous souhaitons conserver et protéger au maximum la région parcourue. Nous pensons en outre que chacun doit déterminer lui-même l’itinéraire qui lui convient, pour vivre son aventure à sa manière. Nous vous transmettons néanmoins quelques conseils dans le cas où vous décideriez de vous lancer dans une telle aventure et souhaiteriez découvrir cette région unique.
En 1804, à l’âge de 19 ans, John Colter est engagé au sein de l’expédition Lewis & Clark qui a pour objectif de traverser les États-Unis tels qu’on les connait aujourd’hui. Il quitte la région est, où il a grandi, pour partir à la découverte de l’Ouest encore très peu colonisé à cette époque. Colter, déjà réputé pour ses qualités de tireur, de chasseur et de pisteur en pleine nature, a grandement participé au succès de l’expédition. Une fois cette entreprise terminée, il décide de rester dans la région ouest en raison du commerce de peaux très florissant. Il vit son expérience la plus difficile quand, lors d’un voyage en canoé sur la rivière Jefferson, il est attaqué et fait prisonnier par des Indiens Blackfeet. Son partenaire ne survit pas, tandis que lui-même est laissé libre, mais nu et blessé. Ses ennemis ne lui accordent qu’une petite avance avant de le pourchasser à nouveau. Il se cache durant la nuit dans un barrage de castors, puis s’élance dans une fuite de 240km à pied pour retourner à Fort Raymond. Une légende qui met en lumière la résistance et la robustesse des «mountain men» de l’époque.
Pour notre dernière journée, Thomas a inscrit au programme près de 100km à parcourir sur des routes normales entre Cooke City et Cody. Cette distance dépassait de loin tout ce qu’il avait fait jusqu’à ce jour, son maximum se situait aux alentours de 60km. Depuis que je connais Thomas, je ne l’avais encore jamais vu repousser aussi loin ses propres limites. Il était stimulé par l’envie de réaliser quelque chose qu’une seule autre personne avait fait avant lui. Le but de Thomas et les efforts consentis étaient bien entendu différents de ceux de John Colter, 200 ans plus tôt. Mais je suis certain que le soulagement perçu par les deux à l’arrivée était similaire. Notre parcours tracé dans le Yellowstone est à mes yeux le plus exigeant que nous pouvions imaginer, le tout vu sous un angle historique particulier. Cette aventure nous a motivés à découvrir de nouveaux espaces sauvages et nous a aidés à devenir de meilleurs athlètes. Nous nous sommes fixé comme nouvel objectif de retourner prochainement dans la région avec de meilleures connaissances et des défis physiques et techniques plus élevés.
Ne planifiez pas d’étapes plus longues que ce que vous êtes vraiment capables de faire en une journée. Les conséquences peuvent être catastrophiques en cas de problème, ce qui n’est d’ailleurs pas rare. Emportez suffisamment de nourriture et d’eau, ainsi que quelques bières pour bien finir la journée. Outre ces conseils de base, il est aussi primordial de pouvoir compter sur un partenaire de confiance pour se lancer dans une telle aventure. Thomas et moi-même parcourons ensemble les montagnes depuis notre enfance, il existe une totale confiance entre nous deux et nous nous améliorons à chaque nouvelle expérience partagée. Nous n’avions pas une idée précise de comment se déroulerait cette «Colter Traverse». Nous ne savions pas exactement où nous passerions avec nos skis, mais nous savions que nous pouvons toujours compter l’un sur l’autre pour trouver notre chemin au cœur de ces montagnes sauvages. Dans un tel environnement, il faut absolument avoir à ses côtés quelqu’un avec qui l’on sait que l’on prendra de bonnes décisions.
Un autre événement moins connu mettant en scène John Colter a lieu durant l’hiver 1807/1808. Selon des témoignages de la tribu Crow, Colter décide de quitter Fort Raymond en direction du sud pour partir à la découverte des secrets de la chaine montagneuse d’Absaroka. Comme l’aventurier ne tenait pas de journal, des doutes existent aujourd’hui encore sur l’itinéraire qu’il aurait vraiment emprunté. En se basant sur des témoignages oraux, la Montana State University a archivé une série de cartes retraçant de manière globale les déplacements possiblement effectués par John Colter durant son hiver passé en solitaire. La région, connue de nos jours comme parc national de Yellowstone, était aussi appelée «Colter’s Hell» par le passé. En plein hiver, par des températures de -40C°, il aurait parcouru environ 1000km dans une des régions les plus hostiles des Rockies. Personne n’aurait depuis répété cet exploit.